Fribourg, le 10 février 1990

C’est au nom des paroissiens, au profit desquels le Père Jehan de Bailliencourt a exercé son sacerdoce, que je m’exprime. Beaucoup d’autres que moi l’ont mieux connu, ont vécu plus près de lui, et je ne saurai m’exprimer que d’une façon imparfaite ou incomplète. Cependant, chez un commandant d’Armes bat un cœur, et c’est lui que je laisserai parler ici, en votre nom à tous.

« Père Jehan de Bailliencourt, vous nous avez quittés au terme d’une maladie qui n’avait révélé sa nature que depuis quelques mois. Vous avez supporté, avec un courage et une dignité exemplaire, tout ce qu’elle vous imposait : souffrances physiques ou morales, éloignement des vôtres ou de vos communautés paroissiales de la plaine du Rhin. Jusqu’au dernier moment, vous avez gardé la plénitude de vos facultés intellectuelles, et vous n’aviez qu’un seul désir : guérir pour revenir vous occuper de vos fidèles.

Vous aviez des qualités que bien des militaires auraient pu vous envier : détermination, solidité, sérénité.

Permettez qu’en un dernier hommage, au nom des cadres, militaires du rang et familles, je rappelle comment vous avez assumé vos responsabilités spirituelles dans notre communauté militaire.

Un jour de septembre 86, vous avez accepté de vous dévouer, tout en conservant le statut d’Aumônier Civil, à l’Aumônerie aux Armées. Et, depuis lors, c’est à Müllheim et Vieux Brisach (Breisach am Rhein) que vous avez exercé votre ministère.

Ce milieu vous était entièrement nouveau, mais votre foi et un engagement personnel vous ont permis de vous adapter immédiatement. Vous étiez très présent mais avec discrétion, et nous ne pouvons compter les occasions où votre haute silhouette apparaissait, de jour comme de nuit, sur les terrains de manœuvres ou les champs de tir. Vous partagiez ainsi avec nous, cadres ou militaires du rang, ces activités physiques si éloignées de vos préoccupations spirituelles.

Combien de contingents de jeunes recrues avez-vous accueillis, proposant vos services avec simplicité. Ce fut probablement la partie la plus rude de votre apostolat : occupés la semaine, en permission le week-end, Cuirassiers, Canonniers, Commandos ou Artilleurs sol-air représentent, en effet, une population très absente et clairsemée.

Mais votre action a trouvé toute sa signification et son épanouissement auprès des familles et des enfants. Aidé par des mamans dévouées, vous nous avez permis de vivre avec la certitude qu’à travers vous Dieu était tout près de nous. Vous nous avez apporté la paix, la tranquillité. Votre dévouement s’est révélé total. Vous étiez partout, et chacune des activités de garnison – si nombreuses en milieu militaire – vous permettait de manifester votre présence. Et votre action, vis-à-vis de la communauté paroissiale allemande, a aidé à développer des liens d’amitié solides avec nos frères de Müllheim.

Homme de conviction, de générosité et de droiture, vous étiez bien au milieu de cette communauté militaire. Vous avez apprécié la franchise de nos relations, la cohésion et la solidarité de cette population un peu particulière, dotée, parfois à son insu, d’un véritable esprit de corps. Notre présence ici, nombreuse et recueillie, en apporte la preuve éclatante. Et c’est aussi à vous que nous la devons.

Epaule contre épaule avec les hommes, main dans la main avec les familles et les enfants, c’est l’image du *** Soldat de Dieu *** solide, lucide, à la ferveur inébranlable que vous laisserez parmi nous.

Nous savons que la découverte de notre milieu militaire a éclairé votre vie. Nous nous réjouissons d’avoir pu vous apporter ainsi quelque chose, mais c’est peu en contrepartie de la protection spirituelle dont vous nous avez comblés et qui se poursuivra malgré votre départ.

Père de Bailliencourt, guide spirituel, frères d’armes et soldat de Dieu, reposez en paix.

Dieu a voulu vous rappeler près de lui alors que vous étiez en pleine force de l’âge, doté d’un potentiel de dévouement immense.

Ceux qui vous ont vu vivre parmi nous savent que vous êtes tout près du Seigneur et de la Vierge Marie. Vous aviez pour cette dernière une dévotion toute chevaleresque ; Demandez-lui de veillez sur vos amis qui vous regrettent mais gardent espoir, car vous leur avez appris et montré que la mort n’est jamais que le commencement d’une vie plus profonde ».

C’est par cette allocution prononcée par le Commandant d’Armes de la garnison de Müllheim à l’occasion de la levée de son corps que l’on peut comprendre ce que fut réellement ce bon Abbé Jehan de Bailliencourt.

Nous sommes bien loin des qualificatifs de « traitre, renégat, déserteur et combien d’autres… ! » que lui a attribués la France traditionaliste, censée le soutenir mais attachée à sa perte !

Sur les 300 participants à ses camps de jeunes à Garabandal, il avait obtenu 31 vocations sacerdotales et religieuses. Seulement 3 ou 4 avaient gardé des relations avec lui. La plupart des autres lui seront même – à la suite de quelles calomnies ? – devenus franchement hostiles !

Il est décédé à Fribourg à 14h00, le 8 février 1990, en la fête de Saint Jean de Matha, dans la 61ème année de son âge et dans sa 33ème année de son sacerdoce.

Qui était l’Abbé de Bailliencourt ?

Fils de Jehan Charles Marie Vincent de Bailliencourt dit Courcol et de Marguerite Le Bas de Bouclans, il est né le 12 août 1929 à Besançon.

Son père : Jehan Charles Marie Vincent de Bailliencourt dit Courcol

Né à Douai (Nord) le 21juillet 1885. Il est affecté en septembre 1914 au service automobile du XXXII° corps en formation, sous les ordres du général Humbert. Il fait la campagne d’Ypres, de Dixmude puis de la Champagne. En juin 1916, il est affecté à la 83° compagnie d’aérostiers à Jouy sous Dombasle et en octobre de la même année à la T.M.709 R., pour les batailles de Verdun et de Champagne.

Jehan de Bailliencourt reçoit à l’époque la citation suivante :

« 19 mai 1917, le chef d’Etat-major de la IV° armée cite à l’ordre de l’Armée le Maréchal des Logis de Bailliencourt sous-officier énergique et dévoué, s’est fait remarquer en de nombreuses circonstances, en particulier le 14 mai 1917 a su, grâce à son courage et à son sang-froid, prendre toutes dispositions pour sauver un convoi soumis à un violent bombardement alors qu’un de ses conducteurs venait d’être mortellement blessé ».

Puis, à la même époque, le Maréchal Pétain adressait une lettre de félicitations à la T.M. R dont copie était remise à Jehan de Bailliencourt.

Lettre de félicitation :

« Le général commandant en chef adresse ses félicitations aux officiers et sous-officiers brigadiers et hommes de troupe des services automobiles, pour l’activité, le dévouement, l’endurance dont ils viennent de faire preuve sous la direction énergique et éclairée du commandant Doumène. Quelle qu’ait été la difficulté des circonstances, les transports intensifs de troupes et de ravitaillement furent exécutés, depuis le mois de mars, sans arrêt de jour et de nuit, avec une rapidité et une exactitude qui font honneur aux services. Dans le même temps, les forces automobiles assuraient le travail de réparation et permettaient le maintien constant de toutes les formations automobiles à leurs capacités de transport. Conducteurs sur la route, ouvriers à l’atelier ont contribué, pour leur part, au succès de nos opérations ». Pétain

Il est décédé à Saint-Cyr du Ronceray (Calvados) le 30 avril 1980.

Sa mère : Marguerite Le Bas de Bouclans

Née à Maisières (Doubs) le 11 juillet 1891, fille du Marquis Amédée Le Bas et de Paule d’Arlon est décédée à Saint-Cyr du Ronceray le 29 avril 1979.

Ils s’étaient mariés à Besançon (Doubs) le 22 janvier 1914.

L’Abbé Jehan Georges Blanche Marie de Bailliencourt dit Courcol

Il est né à Besançon (25) le 12 août 1929, à Besançon, Il entre dans la Société des Missions d’Afrique (Pères Blancs) et y reçoit les Ordres Mineurs. C’est à la veille de son sous-diaconat, après accord entre son Provincial et Monseigneur Jacquemin, qu’il est ordonné Prêtre à Bayeux (14) le 21 décembre 1957. Durant dix années, il œuvre sur la paroisse Saint-Étienne de Caen (Calvados) où Monseigneur l’a nommé vicaire.

En 1967, nommé curé, il s’installe au presbytère de Saint-Cyr du Ronceray, avec ses parents.

C’était un prêtre traditionnel qui avait affronté la « Crise de l’Eglise » dans la force de son âge et de ses convictions. Sa Foi, solidement établie sur la pure doctrine thomiste, lui avait permis d’apprécier d’un coup d’œil sûr les dangers du modernisme et du vent « postconciliaire ». Il avait vaillamment résisté à la nouvelle Messe, et ceux qui l’ont reçue, se souviennent encore de la lettre que, jeune curé à St Cyr du Ronceray, il avait adressé à ses paroissiens qu’il quittait, pour leur expliquer son choix devant les nouvelles orientations de l’Eglise.

C’est ainsi Qu’il put déclarer lors de son jubilé sacerdotal des 19 et 21 décembre 1982, avec sans doute une légitime fierté, qu’il n’avait jamais célébré la nouvelle Messe. Il devait y être fidèle jusqu’à la mort.

Mais ce qui avait surtout étayé, guidé sa fidélité, animé et nourri toute sa vie spirituelle comme un ministère, avait été la Très Sainte Vierge Marie. Comme dans la vie de tout prêtre, Elle avait toujours été présente à son âme, à sa formation, mais Elle y prit une place prépondérante dès 1968, lorsqu’au cours d’un pèlerinage à Garabandal avec le Père Materne Laffineur, alors âgé de 71 ans, celui-ci lui confia la « Section Jeunesse » du groupe diffuseur du Message de la Vierge à Garabandal. Le Père Laffineur, tertiaire de Saint Dominique, lui-même chargé par le Ciel de cette diffusion – apparition du 2 juillet 1965 – voyait dans la manifestation de la Mère de Dieu à Garabandal une continuation et une amplification pour l’humanité du message de Fatima ; bien décidé à ce que rien n’en tombe dans l’oubli, il s’employait activement à le répandre. Il avait lui-même d’ailleurs assisté à plusieurs apparitions dès 1962.

A l’Abbé de Bailliencourt il demande d’assurer pour les jeunes – on se souvient du contexte révolutionnaire de mai 1968 – une formation humaine, chrétienne, spirituelle et mariale. Le jeune Abbé accepte et lui propose le 1er mai 1969 d’organiser des camps d’été à Garabandal même. Ces camps formateurs débutent dès l’été suivant, et c’est là que les jeunes eux-mêmes souhaitent la création d’un bulletin de liaison et émettent l’idée de son titre : l’Appel des Pins.

C’est ainsi que prit naissance tout ce qui devait absorber toute la vie de l’Abbé de Bailliencourt car le Père Laffineur mourait le 28 novembre 1970 après l’avoir présenté comme son successeur le 12 novembre précédant – succession qu’il assumera avec tout son zèle apostolique et son amour de la Vierge Marie, dans la fidélité à l’Eglise et sur directives du Père Laffineur qui avait eu grâce d’état pour tout organiser :

  • Retraites et journées annuelles dites de « Candé »
  • Conférences
  • Archives

Que l’Abbé reprendra sans pour autant délaisser :

  • les camps
  • l’Appel des Pins
  • un ministère traditionnel actif (4 à 5 centres traditionnels en Normandie).

Il aimera pour l’image de son jubilé de 25 ans de sacerdoce, citer la définition du Père Laffineur en 1968 : « Garabandal, c’est la Vierge Marie trahie, méprisée ou ignorée ».

Ses activités particulièrement absorbantes, l’Abbé ne refusant jamais une conférence – où, il faut bien le noter, il savait admirablement bien faire passer son amour pour le Sacerdoce et de l’Eucharistie, de la Vierge Marie, et l’union des Cœurs de Jésus et Marie –  se poursuivirent sans encombre jusqu’aux années 80, avec les conférenciers toujours choisis pour leur amour de l’Eglise et de la France, tels que :

  • le Révérend Père Guérard des Lauriers O.P.
  • le Marquis de la Franquerie
  • Pierre Virion
  • Quentin Baudouin.

Dès 1984 circulent des bruits calomniateurs des plus infamants. D’abord les journées, puis les camps, puis les conférences sont annulées…

C’est le temps des épreuves, pour celui qui a tant prêché « la Montée au Carmel » suivant le Père Laffineur qui prenait « Teresita » (Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus) pour « Maîtresse des novices ».

Il n’essaiera pas de se défendre…

En 1986, on répand le bruit qu’il est parti pour l’abbaye de Kergonan afin de se faire recycler.

En fait, il y trouve l’asile car il est totalement ruiné.

Il acceptera un poste d’aumônier aux Armées, en Allemagne, sur les bords du Rhin.

Il y effectuera encore un ministère fécond et traditionnel, dont tous les militaires en garnison lui seront reconnaissants.

L’Appel des Pins prendra fin avec le n° 74 de mars 1988.  Les derniers numéros avaient un son particulièrement eschatologique…

Et c’est en Allemagne qu’il s’éteignit, à Freiburg im Breisgau, le 8 février 1990, dans la 61ème année de son âge et dans sa 33ème année de son sacerdoce, après plusieurs mois de vives souffrances. Après une Messe de sépulture à Fribourg, le 10, ses restes revinrent à St Cyr du Ronceray où, par grâce, on parvint – devant 15 personnes – à célébrer une Messe traditionnelle de Requiem où se remarqua l’absence de tout membre de sa famille…

Les grâces de Croix, sont des grâces de choix. Que pouvait espérer de meilleur celui qui portait le Reliquaire de la Vierge, ce fragment du Missel de Loli baisé par Marie à Garabandal et dont elle avait promis que toute personne qui le porterait ferait son purgatoire ici-bas…

Une petite anecdote

L’Abbé aimait à nous raconter, au cours de ses conférences, une petite anecdote qui datait de l’après concile.

Dans sa paroisse de St Cyr du Ronceray, il était resté fidèle à la Messe de toujours et donc… ses enfants de chœur également !

N’hésitez pas à faire comme nous et suivez le chemin du Ciel tel que nous l’a montré ce cher Abbé…

Il ne donnait bien sûr la communion aux fidèles qu’à genoux et sur la langue, comme il se doit…

Un dimanche, une parisienne en vacances dans le village, bien qu’à genoux tendit ses mains à l’Abbé. L’enfant de chœur ne comprenant pas son geste, lui mit le plateau par-dessus. La dame remis ses mains au dessus et l’enfant de chœur fit de même et, ainsi de suite, jusqu’à ce que – comme dit l’Abbé – cela arrive à la bonne hauteur. « Je n’ai plus eu qu’à enfourner ! » nous répétait-il avec un beau sourire.

Je garderai le souvenir de ce sourire là et non pas des ragots immondes que de « bons chrétiens » ont fait courir à son sujet.

Bon Père de Bailliencourt, ne nous oubliez pas de là-haut et aidez-nous de vos prières à poursuivre l’œuvre que vous nous avez confiée.

Cela passe nécessairement par la Calleja et les Pins de Garabandal !