« Caput Tuum ut Carmelus et coma capitis tui sicut purpura regis »
Votre tête est belle comme le Carmel et les tresses de votre chevelure resplendissent comme la pourpre des rois.
Au propre et au figuré, ces paroles des textes sacrés désignent admirablement la « Dame » du Carmel, la Vierge Marie.
Le Carmel, en effet, est la reine des collines de Judée, la riche végétation de ses cimes ondule comme une chevelure au souffle de la brise, ses flancs chargés de verdure s’inclinent vers la mer, pendant que ses pieds puisent dans un sol imprégné de sel et de rosée une fraîcheur continue.
Les écrivains juifs le font souvent entrer dans leurs comparaisons, et les prophètes ne le pouvaient oublier à propos de la Vierge à venir.
Ne devait-elle pas être, elle aussi, la reine et la plus féconde des filles de la Judée ? Sa tête ne touchera-t-elle pas au ciel, et ne sortira-t-il pas de son sein le plus superbe rejeton de la race humaine ? Salomon le savait bien. Sans nul doute, son style imagé, ses fortes expressions saluaient d’avance la mère du Messie, l’union de Marie avec le fils du Père.
Il pressentait cette « aurore » qui devait mettre des siècles à se lever et peut-être que l’enthousiasme du grand roi enfantait déjà les serviteurs à Marie !
Toujours est-il que, peu de temps après la mort de Salomon, neuf cents ans avant la naissance de Jésus, un homme est à genoux, priant sur le sommet du Carmel ; près de là se tient son disciple. Regarde, lui dit-il, ce qui se lève du côté de la mer.
Elisée lève les yeux et voit un léger flocon de brouillard qui se dilate, s’épanouit et couvre en un instant toute la contrée d’une pluie attendue depuis trois mois.
Cette nuée, dit Elisée à son disciple, est l’image de la Vierge, dont sortira la rosée qui doit laver les crimes d’Israël.
De ce jour, le Carmel fut le rendez-vous des Serviteurs de Marie.
Là se formèrent ses premiers chevaliers, là se bâtit son premier sanctuaire ; de nombreuses cellules se groupèrent tout autour ; jour et nuit on chanta les louanges de la Vierge Mère, on composa des épithalames en attendant la venue de la fiancée.
Quand elle parut, belle comme l’astre des nuits, brillante comme le soleil, majestueuse comme une armée en bataille, elle trouva pour l’accueillir un groupe d’amants qui joignit ses louanges aux hymnes des chœurs angéliques.
Souvent, nous dit la tradition qui a conservé ces détails, Marie, durant sa vie mortelle, visita sa chère montagne et s’y recréa dans les douces joies d’une famille qui grandissait sans cesse à l’odeur de ses vertus : « In odorem unguentorum currimus ».
L’ordre des Carmes ne disparut point de ce monde avec sa Reine ; pénétré du parfum qu’elle avait laissé, il se développa et se répandit bientôt par tout l’univers semblable à tous ces petits nuages d’encens qui se forment sur une cassolette au pied de l’autel, et envahissent en quelques instants les vastes nefs des plus grandes basiliques.
Un jour, les confrères du Carmel, cherchant toujours des amants à leur souveraine, trouvèrent sur le sol anglais un jeune homme d’une angélique piété. Il s’appelait Simon Stock, et n’avait jamais connu d’amour que celui de Marie. Il devint général des Carmes.
Sous Louis XI, roi de France, et Innocent, pontife de Rome, notre aimable Mère, toujours pleine d’amour et de faiblesse pour ses enfants, lui donna le « scapulaire » de Notre Dame du Carmel.
« Tiens, lui dit-elle dans une apparition, puisque tu veux tant un gage de mon amour, prends cet habit de laine ; ceux qui le porteront saintement et mourront dans ses plis n’iront point en enfer. »
L’heureux Simon publia sa faveur sans perdre de temps, et, depuis la bergère jusqu’aux rois, tous voulurent du « saint habit », que l’on rendit aussi commode que possible en le réduisant à la petite dimension où nous le voyons aujourd’hui.
Depuis, l’empressement à le revêtir n’a point discontinué.
Il s’explique par la protection toute spéciale que Marie « lui doit et lui donne ! »
Je dis « lui doit » à cause de sa promesse ; à cause aussi de son cœur de mère.
Une mère ordinairement donne son meilleur et son plus fort amour à l’aîné de ses fils ; soit parce qu’il est sa première affection maternelle, la première effusion vivante de sa chair et de son sang, soit parce qu’il a le premier murmuré à l’oreille de la femme un nom que ne lui avait donné personne, soit peut-être pour ces deux raisons réunies et d’autres qui nous sont inconnues.
Et les fils du Carmel, sont les fils aînés de Marie !
Une mère ne donne une tunique spéciale qu’au plus chéri de ses enfants.
Nous en voyons une à Jacob, aussi comme Rebecca l’aimait ! Une à Joseph, comme le vieux Jacob l’idolâtrait, son Joseph ! Une, enfin, à Notre Seigneur.
Marie elle-même l’en avait revêtu, est-ce à moi de vous dire combien elle aimait son Jésus !
En nous donnant à nous aussi une « tunique », le Scapulaire du Carmel, ne semble-t-elle pas nous mettre au rang de Jésus, nous confondre avec lui dans un même amour !
Les grâces, les faveurs accordées au scapulaire, qui les connaît, hors les habitants des cieux, quelle bouche humaine les pourrait énumérer ?
Tantôt ce sont des soldats préservés des balles ou résistant à toutes les blessures jusqu’à ce qu’un prêtre les vienne absoudre de leurs péchés ; tantôt ce sont des victimes échappant aux flots ou aux incendies, toujours des âmes pécheresses arrachées à l’enfer.
Témoin l’histoire d’un jeune homme de Pérouse racontée par Saint Liguori.
« Ce malheureux, par billet signé de son sang, promit son âme au démon s’il lui procurait une honteuse jouissance.
Dès qu’il l’eut obtenue, le démon le conduisit sur le bord d’un puits et lui commanda de s’y jeter, le menaçant, en cas de refus, de le traîner corps et âme en enfer.
L’infortuné monte sur le puits, mais se recule aussitôt épouvanté de mourir, et dit à son bourreau de le précipiter lui-même, car le courage lui manque.
– Ote ton scapulaire, et je t’y jetterai, répond le maudit –
A cette parole le jeune homme reconnaît la protection de Marie et repousse toutes les instances du démon, qui dut se retirer plein de confusion. En reconnaissance de cette faveur, le jeune pêcheur se convertit, fit inscrire le miracle en un tableau et le suspendit en ex-voto près de l’autel de Sainte-Marie la Neurée, à Pérouse (Saint Liguori, vert de Marie). »
A ce fait, nous pourrions en joindre des millions. Nous ne le ferons pas, car il est permis à chacun d’expérimenter l’efficace du scapulaire et de voir si Marie tient toujours la promesse faite à ses enfants.
Plus tard, le Pape Jean XXII reçut du Ciel une assurance non moins consolante que la faveur révélée au bienheureux Simon Stock. La Sainte Vierge lui promit de ne pas laisser dans le purgatoire ses serviteurs carmélites au-delà du samedi d’après leur mort. Ainsi, sans compter les indulgences innombrables dont les Papes comblent les associés de cette confrérie, il est sûr que ceux qui auront porté le Saint Scapulaire et mourront sous ce vêtement n’iront point en enfer ; il est à peu près sûr aussi qu’ils seront délivrés du purgatoire le samedi qui suivra leur décès.
Il n’y a point de conditions à la première grâce.
Pour la seconde, il faut conserver la chasteté propre à son état, réciter le petit office de la Sainte Vierge si l’on sait lire ; et, dans le cas contraire, s’abstenir de gras les mercredi et samedi de chaque semaine.
Voilà certes des motifs à gagner les plus lâches et les plus récalcitrants.
N’allez cependant pas vous persuader que le port de cet habit suffise à vous sauver.
Ce serait bien mal connaître et nos intentions et l’esprit de l’Eglise.
La grâce du Bon Dieu peut seule garder nos cœurs dans la vertu ou les changer en assurant le repentir à nos derniers moments.
Le scapulaire ne saurait opérer le même résultat ; dire le contraire serait aller contre les enseignements de l’Eglise et de la raison.
– Quelle est donc sa vertu spéciale ?
Sa vertu est semblable à celle de la tunique du fils de Rebecca ; elle tient sans cesse les yeux de la mère attachés sur le fils.
Comprenez-vous maintenant comment le pécheur ne peut périr, vêtu de cet habit de grâce ?
Marie le suit partout du regard et Marie est la mère de ce pécheur.
Elle ferait plutôt des miracles que de le laisser tomber en enfer sous ses yeux.
Est-ce à dire que sous cette livrée nous puissions impunément nous livrer à nos passions ? Gardez-vous de le croire, mes très chers frères ; si nous ne pouvons nous damner sous son égide, le mépris ou l’indifférence nous le ferait repousser avant de mourir.
Quand Esaü ou le pécheur en est couvert, il répand une odeur désagréable.
Ce n’est que sur les épaules de Jacob ou du juste qu’il exhale un parfum tout plein de fécondité pour le salut.
Marie, en nous le donnant, a voulu nous fournir un moyen facile de rester et de mourir dans la justice ; car sous les livrées d’une telle reine, quel ennemi oserait nous attaquer, à moins que nous ne le voulions, et qui oserait vouloir profaner les livrées de Marie ?
Quand donc la tentation vous pressera, mettez la main à votre scapulaire, songez à qui vous l’a donné, et vous ne pécherez pas.
Ainsi soit-il.
Abbé H.Pouillat
La semaine du Clergé – Tome XII – n°37 – 3 juillet 1878
NDLA : sur le Mont Carmel se trouve le tombeau d’Elie, prophète dont la vie est attestée entre 876 et 854 avant Jésus Christ. Il fut enlevé au Ciel dans un char de feu.Elisée, dont il est question dans le texte précédent, est le successeur d’Elie.
De nombreux miracles lui sont attribués dont la guérison du général syrien Naamâm de la lèpre, transmise au serviteur cupide du prophète.